« Il y a l’émeute, et il y a l’insurrection ; ce sont deux colères ; l’une a tort, l’autre a droit.
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« selon que les Tuileries contiennent le roi ou contiennent la Convention, elles sont justement ou injustement attaquées. Le même canon braqué contre la foule a tort le 10 août et raison le 14 vendémiaire. Apparence semblable, fond différent ; les suisses défendent le faux, Bonaparte défend le vrai. Ce que le suffrage universel a fait dans sa liberté et dans sa souveraineté, ne peut être défait par la rue.
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Quelquefois le peuple se fausse fidélité à lui-même. La foule est traître au peuple.
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Danton contre Louis XVI, c’est l’insurrection ; Hébert contre Danton, c’est l’émeute. De là vient que, si l’insurrection, dans des cas donnés, peut-être, comme a dit Lafayette, le plus saint des devoirs, l’émeute peut être le plus fatal des attentats.
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l’émeute et l’insurrection, c’est la multitude, qui tantôt a tort, tantôt a raison. Dans les cas les plus généraux, l’émeute sort d’un fait matériel ; l’insurrection est toujours un phénomène moral. L’émeute, c’est Masaniello ; l’insurrection, c’est Spartacus. L’insurrection confine à l’esprit, l’émeute à l’estomac.
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Le suffrage universel a cela d’admirable qu’il dissout l’émeute dans son principe, et qu’en donnant le vote à l’insurrection, il lui ôte l’arme. L’évanouissement des guerres, de la guerre des rues comme de la guerre des frontières, tel est l’inévitable progrès.»
Victor Hugo, Les Misérables
XXXIV Le 5 juin 1832, Chapitre 2 Le fond de la question