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« La liberté n’est pas qu’absence du mal, c’est aussi présence du bien.

 

La liberté est la valeur des valeurs, parce qu’elle est la condition de l’exercice de toutes les autres valeurs. Un gouvernement n’est pas légitime du simple fait qu’il a le pouvoir et se pare du mot souverain pour masquer décrépitude et tromperie. Il est légitime dans la mesure où il favorise la liberté, mettant en œuvre des politiques qui permettent aux jeunes générations et aux générations futures de devenir souveraines.

 

Les activités les plus en rapport avec la liberté sont celles qui consistent à assurer des soins : professeurs des écoles, instituteurs, puéricultrices. Une société qui se soucie de liberté devrait les respecter et bien les rémunérer.

 

Le cynisme envers le système dégénère en un nihilisme qui sert le système.

 

« À partir d’un certain degré d’inégalité, observait Raymond Aron, il n’y a plus de communication humaine. » Dans la République et les Lois, Platon soutient qu’il est impossible aux riches d’être justes envers les autres. Socrate parle d’une « cité des riches » et d’une « cité des pauvres ». Deux modes d’existence différents rendent impossible une société unique. Dans des conditions d’inégalité extrême, le mot liberté, qui devrait appartenir à tout le monde, s’attache plutôt à des abstractions qui conviennent aux oligarques. Quand nous parlons de « libres marchés » au lieu de « gens libres », nous sommes dans le pétrin. Dans l’oligarchie américaine, la « liberté d’expression » ne désigne que trop souvent le privilège des très riches de diffuser de la propagande anonyme et de financer les campagnes électorales. Dans une pareille situation, « nous, le peuple », n’avons pas grand-chose à dire.

 

La liberté n’est pas négative, elle ne consiste pas pour nous à briser ce qui est autour de nous. La liberté, ce n’est pas nous contre le monde, mais nous à l’intérieur du monde, le connaissant et le changeant. La liberté implique de transformer les contraintes en possibilités — une habitude qui peut sauver notre espèce.

 

La véracité n’est ni un archaïsme ni une excentricité, mais une nécessité de la vie et une source de liberté. La science du réchauffement climatique est un exemple de vérité générale. Peut-être n’avons-nous pas envie d’en entendre parler, mais si nous l’ignorons, nous sommes moins libres.

 

La poursuite de la vérité est le premier rempart dans la défense de soi. Gober un mensonge signifie servir un maître, vivant ou numérique.

 

La liberté est positive, la liberté d’expression également : elle n’a pas de sens sans l’affirmation de la vérité comme vertu, et sans la création d’institutions pour protéger ceux qui la recherchent. C’est la liberté des chercheurs de vérité, leur capacité à prendre physiquement des risques, qui nous rappelle à quoi sert la protection.

 

La liberté d’expression est nécessaire pour défendre la liberté en général, mais cela ne signifie pas que quiconque l’invoque défende la liberté.

 

Revendiquer la liberté seulement pour soi est logiquement incohérent, moralement borné et politiquement inefficace. C’est choisir l’isolement que les tyrans auraient choisi pour nous. Ils utilisent assez souvent le terme de liberté ; sans solidarité, nous serons des dupes et nous duperons les autres. La solidarité est une forme noble et vitale de liberté. Elle fait de la liberté une justice.

 

Le contraire de la solidarité, c’est l’évasion : je fuis la scène les poches pleines tandis que tous les autres souffrent de mes choix égoïstes. Dans une approche négative de la liberté, l’évasion paraîtra acceptable, voire louable. Dans la liberté négative, les lâches — les Poutine, les Trump, les Musk — sont des héros. L’évasion rend la liberté impossible. Quand les privilégiés eux-mêmes croient que leurs familles et eux peuvent échapper à la tragédie qui se déroule alentour, ils font obstruction au travail national nécessaire pour créer les formes de liberté.

 

La liberté est une valeur humaine. Seuls des humains peuvent la reconnaître et la poursuivre. Il n’existe pas de substitut à la liberté, aucun moyen de la déléguer. Dès l’instant où nous déléguons la liberté, au marché ou à autre chose, elle devient soumission.

 

Adam Smith, le plus célèbre des penseurs du marché, avait compris que la concurrence fonctionne sur la base de vertus que le marché ne saurait lui-même engendrer. La liberté ne vient pas des marchés, mais de nous ; sans la liberté qui vient de nous, les marchés fonctionneront mal.

 

L’idée que la liberté se résume à l’inaction de l’État n’a de sens que pour l’infime minorité qui peut protéger les siens sans gouvernement représentatif.

 

La reconnaissance de notre égale dignité est assurément nécessaire à toute discussion de la liberté. Mais l’égalité est un commencement plutôt qu’une fin. Il n’y a point de choix tragique entre liberté et égalité. Elles vont de pair. Les formes de la liberté — toutes les cinq — créent les conditions pour qu’il y ait, en pratique, moins d’inégalité. Sans les vertus que font vivre des êtres libres, l’égalité perd toute substance en politique. La détacher de la liberté la vide de son sens. Nous pouvons tous être également misérables, également zombifiés, également morts.

 

Les oligarques d’un pays ont plus de points communs avec les oligarques d’un autre pays qu’avec leur peuple.

 

Voici des millénaires que les penseurs politiques ont compris les conséquences d’une inégalité extrême. Il est difficile de trouver des défenseurs de la liberté qui croient qu’une poignée de gens devraient dominer l’économie.

 

Comme l’écrivait Simone Weil, découvrir et recevoir la vérité exige du travail ; produire et croire le faux ne demande aucun effort. Les faits sont indispensables : ils ont des coûts ; un peuple aspirant à la liberté les supportera.

 

Bien que la liberté soit la qualité d’une seule vie, elle est l’œuvre de plusieurs générations. »

 

Timothy Snyder. De la liberté, Editions Gallimard. 2024

Tag(s) : #Liberté
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