"Faire une loi sur la fin de vie requiert l'unanimité des parlementaires"
— Toutes les grandes lois sociétales se sont faites dans une opposition entre le camp des conservateurs et celui des progressistes. Le droit de vote des femmes, l’interruption volontaire de grossesse, le mariage pour tous... ont donné lieu à des affrontements. En ce qui concerne la 1ere loi Leonetti, en 2005, il n'y a pas eu d'unanimité non plus. Plusieurs députés n'ont pas voté ce texte et plus de la moitié des sénateurs ont quitté l'hémicycle pour protester.
D'ailleurs, une loi de consensus, en matière sociétale, serait une loi qui cherche à plaire à tout le monde, dans de mauvais compromis.
"La loi Leonetti est satisfaisante ».
— Si les lois Leonetti étaient satisfaisantes, il n'y aurait pas autant d'affaires de fin de vie ; Vincent Lambert et Jean Mercier n'auraient pas subi de drames judiciaires et Anne Bert n'aurait pas eu besoin de s'exiler en Belgique. Les Français se déclarent favorables à 95% à la légalisation de l'euthanasie -Ifop mars 2017.
« La loi Leonetti est une loi d’équilibre »
— Cette loi conserve tout leur pouvoir aux médecins qui décident s'ils respectent ou non les directives anticipées des patients.
"La loi Leonetti est une avancée. Il faut attendre son évaluation, dans quelques années, pour dire si elle est bonne ou pas."
— La 3e loi Leonetti est une réécriture de la loi du 22 avril 2005, qui prescrivait le double effet des analgésiques et l'arrêt des traitements et du décret du 29 janvier 2010 qui prescrivait les traitements sédatifs en cas d'arrêt des traitements.
Aujourd'hui, cette sédation ne peut être mise en œuvre que si le pronostic vital est engagé à très court terme.
"Grâce à la 3e loi Leonetti du 2 février 2016, les directives anticipées sont devenues opposables."
— Oui, mais elles ne sont toujours pas contraignantes. Les directives anticipées ne seront respectées qu'à deux conditions : qu'il n'y ait pas d'urgence vitale (mais on parle de la fin de vie, il y aura toujours une urgence vitale) et qu'elles ne soient pas manifestement inappropriées (qui évalue ce critère ?). Le médecin aura toujours le choix d'appliquer ou pas nos directives anticipées.
En cas d'AVC grave, la loi commande aux médecins, d'abord de réanimer la personne, puis de consulter les directives anticipées si elles existent. Mais le mal aura été fait et les séquelles resteront présentes.
"Il est faux qu'avec la loi Leonetti le patient meurt de faim et de soif."
— La 3" loi Leonetti, promulguée le 2 février 2016, prescrit la sédation - c'est-à-dire la mise dans un état d'inconscience - assortie de la suppression de tous les traitements. L'article L. 1110-5-1 du code de la santé publique indique que la nutrition et l'hydratation artificielles constituent des traitements qui peuvent être arrêtés.
La mort du patient intervient par épuisement du corps qui n'est ni hydraté, ni alimenté. Cela peut prendre entre quelques jours et quelques semaines. Vincent Lambert a subi une sédation de 31 jours, il y a quelques années, avant d'être alimenté et hydraté de nouveau à la demande de sa mère. 31 jours durant lesquels son corps maigrit, se dessécha, se flétrit...
"On ne souffre pas lors d'une sédation."
— Rien ne permet de le dire. La seule étude qui existe est celle de l'ancien Observatoire sur la fin de vie présidé alors par Régis Aubry, professeur de médecine qui s'est toujours défini comme anti-euthanasie, qui affirme que rien ne permet de certifier qu'il n'y a pas de souffrances durant une sédation.
Qui est prêt à laisser souffrir volontairement une personne qu'il aime ?
« Les gens ont peur de l’euthanasie »
— Les Pays-Bas, la Belgique, le Luxembourg ont légiféré pour légaliser l'euthanasie. Ces textes de loi comportent le mot « euthanasie ». Les parlements les ont votés.
Le mot ne fait pas peur, car il recouvre une réalité comprise par tous. Ceux que le mot effraie peuvent utiliser une périphrase comme « aide active à mourir », « interruption volontaire de vie ».
Pour autant, toutes les études réalisées en France donnent un taux d'adhésion à la légalisation de l'euthanasie (c'est ce mot qui est toujours employé) de près de 90% depuis 25 ans.
"Une loi sur la fin de vie provoquerait des dérives."
— C’est l'absence de loi qui, aujourd'hui, dans notre pays, provoque les dérives.
Des médecins pratiquent des euthanasies clandestines (étude INED).
La loi, dans notre République, protège et assure l'égalité entre tous. Si le législateur ne croit pas en la loi, si un parlementaire ne croit pas en la force de la loi et celle de nos institutions pour la faire appliquer sans dérive, il doit renoncer à se faire élire.
Bien sûr, toutes les lois ont leurs fraudeurs, sinon, il n'y aurait ni prisons ni prisonniers.
Il y a des chauffards qui ne respectent pas le code de la route, pour autant, on ne renonce pas au code de la route.
"La Suisse pratique le suicide assisté sur des personnes bien portantes."
— Je n’ai trouvé aucune référence confirmant cette rumeur.
À chaque fois que les Suisses ont été interrogés sur cette pratique (il n'y a pas de loi, en Suisse mais uniquement une interprétation du code pénal qui induit une pratique acceptée par les autorités et validée par la police et par la justice), ils ont toujours confirmé leur attachement au suicide assisté.
Le dossier médical relève du secret professionnel. Nul, en dehors du patient lui-même et de son médecin, ne peut dire précisément de quelle pathologie souffrent les personnes qui bénéficient d'un suicide assisté.
"Les pays du Benelux connaissent de nombreuses dérives."
— Les Pays-Bas, la Belgique, le Luxembourg sont des pays démocratiques. Il ne s'agit pas de dictatures dans lesquelles on tue les personnes malades ou vieillissantes. C'est une insulte de le dire et de le penser. Dans les pays où l'euthanasie a été légalisée, il y a des commissions de contrôle, adossées aux parlements nationaux. S'il y a des dérives, elles sont sanctionnées par la justice. Dans aucun de ces trois pays, les populations ne remettent en cause ces lois. Au surplus, beaucoup de Français demandent à être aidés dans ces pays ; même si ce n'est pas aisé.
"En Suisse, le suicide assisté est un commerce".
— Oui, le suicide assisté, pratiqué par des associations, est payant. Entre 8.000 et 11.000 euros. Beaucoup de Suisses acceptent de payer cette somme, tout comme de nombreux étrangers. D'ailleurs beaucoup de demandes d'étrangers ne sont pas satisfaites, faute de possibilités d'accueil. Ce coût élevé est un obstacle pour certaines personnes. C'est dans un souci d'égalité qu'il faut éviter que les Français en fin de vie, qui ont des moyens financiers, s'expatrient pour bien mourir tandis que les plus défavorisés d'entre nous, ou ceux qui ne peuvent plus faire le voyage jusqu'à la Suisse, sont condamnés à mal mourir en France.
"Les affaires Lambert ou Mercier sont des exceptions."
— Des affaires similaires sortent régulièrement dans la presse ; sans compter celles qui ne sont pas médiatisées ; sans compter les personnes très âgées qui se suicident ou tuent leur conjoint grabataire.
Vincent Humbert, Chantai Sébire, Laurence Tramois, Chantai Chanel, Christine Malèvre, Léonie Crevel, Hervé Pierra, Rémy Salvat, Anne Bert...
" Quand une personne en fin de vie est bien prise en charge par les médecins, elle ne demande plus à bénéficier d’une euthanasie".
— Quand une personne est enfin de vie, qu'elle est épuisée, qu'elle demande à être aidée et que les médecins lui répondent que c'est impossible, elle ne va pas insister : tout simplement parce qu'elle n'a pas la force de lutter. Sans doute est-ce un exemple de la surdité du corps médical dont parle le professeur D. Sicard dans son rapport remis au président de la République, en décembre 2012.
"On ne peut pas légiférer pour un tout petit nombre de personnes."
— La peine de mort concernait un tout petit nombre de personnes, pourtant une loi l’a aboli. L’IVG concerne seulement les femmes et pourtant toute la société s'était emparée du sujet. La fin de vie concerne 100% des citoyens. Il importe de bien l'organiser...
"Dans les pays du Benelux, beaucoup de personnes qui demandent l'euthanasie et qui l'obtiennent n'y recourent pas finalement."
— Effectivement, une personne atteinte d'une pathologie incurable voit souvent l'euthanasie comme une opportunité. Elle peut choisir de ne pas s'en servir. Cette faculté, bien souvent, donne la force d'affronter des traitements lourds et invasifs.
Comme pour toute liberté, ouvrir un droit ne crée pas l'obligation d'en user.
"Ne vous tracassez pas, ça se passe bien, en général. On s’occupe de tout. Tout est prévu. Nous sommes professionnels, expérimentés, diplômés, désintéressés, à votre service… "
— Doutez. Prenez-vous en charge. A tout le moins, rédigez des « directives anticipées » et désignez des « personnes de confiance.
Le moment venu, il sera trop tard.