Jean-Philippe Derosier
"Personnellement, je ne conteste pas l’utilité du Sénat, même si des évolutions peuvent sans doute être envisagées. Il y a trois raisons à l’utilité d’une deuxième chambre. Une raison logique d’abord. Le Parlement représente la nation, et la nation c’est le peuple mais aussi quelque chose d’autre. Le peuple est représenté par l’Assemblée et le quelque chose d’autre : chez nous, ce sont les territoires. Dans les pays qui ont fait le choix du bicamérisme, ce quelque chose d’autre peut-être différent, comme l’histoire de la noblesse britannique en Angleterre, qui s’incarne dans la Chambre des Lords ou la société civile en Irlande.
La seconde raison est biologique : il y a toujours plus d’idées dans deux têtes que dans une et la deuxième chambre vient compléter le rôle de la première à travers ce dialogue permanent instauré entre les deux assemblées.
La troisième est chronologique : la navette entre les deux chambres permet de prendre le temps de la réflexion, et le temps est une bonne chose en démocratie. Il existe aujourd’hui une idée reçue selon laquelle la loi doit être immédiate et le Sénat contribue à ralentir sa fabrication. Or au contraire, il alimente le travail parlementaire, l’enrichit et permet une forme de maturation nécessaire au travail législatif. C’est une erreur de penser que la loi doit être faite dans l’urgence.
Aujourd’hui, des projets de réformes institutionnelles prévoient une diminution du nombre de sénateurs, la suppression d’une navette et l’application du non-cumul avec une fonction exécutive locale. La généralisation d’une seule lecture par chambre ne fait au fond qu’aligner le droit sur la pratique, puisque la procédure accélérée a été appliquée sur la plupart des textes au cours de ces dernières années. Quant au non-cumul et à la diminution du nombre de parlementaires, qui vont de pair, c’est plutôt une bonne chose puisque cela va conduire à avoir des parlementaires moins nombreux mais qui travaillent à temps plein.
Certains plaident plutôt pour une représentation citoyenne. Selon moi, c’est une idée démagogique et sournoise. Démagogique, parce que l’on fait croire aux citoyens qu’ils pourront faire des choses là où ils ne pourront pas les faire. Tant qu’on ne crée pas de vrais outils de participation citoyenne, un Sénat citoyen ne sera qu’une instance de représentation et non de législation. Et sournois, car cela revient à faire ce que De Gaulle a échoué à faire en 1969, c’est-à-dire à supprimer le Sénat. Or, les Français ont dit non à deux reprises à sa suppression, en 1946 et en 1969. Depuis la Révolution, la France n’a connu un système monocaméral que durant une période de dix ans en tout. C’est dire si le Sénat est inscrit dans l’ADN de nos institutions."
Recueilli par Céline Rouden, La Croix, 25 septembre 2017