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« Pour le compte de la Ligue islamique mondiale, Kettani rédige d'abord un rapport sur l'état des minorités musulmanes européennes et américaines, qui paraît en 1976 sous le titre Al-Muslimunfi Urubba wa Amrika, puis après plusieurs voyages un autre rapport intitulé Muslim Minorities in the World Today, publié en 1986 par l'Institute of Muslim Minority Affairs, institut également financé par la LIM. Comme ses mentors, Kettani est persuadé que les minorités musulmanes en Occident sont les mieux à même de jouer un rôle actif pour la Nation islamique, car de ces minorités naîtront « les fils et filles de l'islam qui changeront le cours des événements de l'umma ». Il va s'employer à persuader les immigrants de s'organiser et de se constituer en groupe de pression. Il prône la constitution d'enclaves communautaires islamiques régies par les musulmans en vertu du régime de la choura (consultation). Elles seraient fondées sur la fraternité de l'islam, une fraternité exemplaire, sans élitisme, sans sectarisme partisan, sans divisions raciales, culturelles, et sans considération des différences entre écoles juridiques. Elles devraient former des petites assemblées (jama’at) organisées à un niveau régional en conseils, eux-mêmes unis dans des fédérations nationales. Elles devraient couvrir le territoire sans prendre la forme de communautés refermées sur elles-mêmes. Les musulmans auraient le libre choix de leurs représentants au sein de ces instances, de leurs politiques et de leurs constitutions obtenues par consensus, dans les limites du « halal » du Coran et de la Sunna. Les musulmans de chaque jama'at pourraient éventuellement se regrouper selon un critère linguistique, mais uniquement pour des raisons pratiques, sans que cela mène à diviser la communauté. La vie sociale, économique, politique et culturelle des musulmans serait centrée autour de la mosquée et de l'école coranique, afin de protéger la communauté contre les dangers de l'assimilation et de la pression «anti-islamique » de la société. Le financement de la communauté serait rendu possible par le prélèvement de la zakât (l'aumône obligatoire) et l'investissement dans les activités communautaires, la construction de mosquées, d'écoles, et l'aide aux combattants de la foi (mutai d). Enfin, les leaders devraient travailler sans relâche à la sensibilisation des musulmans aux besoins de la communauté, en mettant l'accent sur la conscience de leur identité. On voit là l'application du programme d'implantation politique et territoriale des Frères musulmans dès les années 1920 en Égypte, puis sa propagation dans les pays circonvoisins, avec celui des Frères musulmans en Europe. Le Groupement islamique en France devenu l'UOIF en 1983 s'adapte au nouveau contexte européen avec un projet similaire, comme en témoignent d'ex-militants, tels Farid Abdellcrim, Mohamed Louizi ou encore, de façon plus allusive sur son blog, Omero Marongiu. Le maillage territorial des Frères musulmans en France par l'implantation de mosquées, de centres culturels islamiques dotés d'écoles coraniques, d'instituts de formation théologique, d'associations religieuses, sociales et sportives affiliées à l'UOIF s'est constitué en seulement trois décennies. Pour le résumer brièvement, l'ingénierie appartient aux Frères, l'argent aux Saoudiens. »

Le Marché halal ou l’invention d’une tradition, Florence Bergeaud-Blackler, éditions du Seuil, 2017 - emplacements 1845 et ss / 4272

Tag(s) : #Société
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