Bernard Perret, La Croix, 10 octobre 2016
"Pour les vacanciers que nous sommes presque tous, l'été qui vient de s'achever restera comme un bel été, chaud et ensoleillé, riche en souvenirs agréables malgré une actualité dramatique. Si nous étions lucides, la clémence du temps devrait pourtant mous alarmer. Loin d'être une bonne nouvelle, elle ajoute une touche inquiétante à un tableau déjà fort sombre. Tout porte à croire en effet que le réchauffement climatique se poursuit à un rythme conforme aux prévisions les plus pessimistes. Or, malgré les avertissements qui viennent du ciel, et des meilleurs experts, c'est l'inconscience et la passivité qui dominent. L'année 2015 avait été prometteuse, avec la C0P21, en dépit des limites de l'accord de Paris, et la réception positive de l'encyclique Laudato si'. Un ensemble de déclarations et d'initiatives annonçaient une mobilisation générale pour la planète, mais cette dynamique a tourné court. On peut certes mettre en exergue quelques signes positifs - le processus de ratification de l'accord de Paris est en cours et l'on observe une légère baisse des émissions mondiales de CO2 dues aux énergies fossiles {- 0,6 % en 2015). Mais le changement est beaucoup trop lent et l'on ne sent pas d'accélération. L'urgence climatique est repassée au second plan, occultée par des soucis immédiats, la menace terroriste s'invitant en tête d'un agenda politique déjà chargé. Le fameux * tout et lié », leitmotiv de l'encyclique Laudatif si', exprime pourtant une vérité qu'aucun responsable ne devrait perdre de vue : la question écologique est et sera de plus en plus étroitement liée aux autres grands défis de l'humanité. Au regard de cette évidence, on ne peut qu'être frappé par la faible. Place de l'enjeu climatique dans le débat public. H aura ainsi fallu les déclarations intempestives d'un Nicolas Sarkozy flirtant par électoralisme avec le climato-scepticisme pour que le sujet soit abordé par les candidats à la primaire de la droite. Ce qui se passe aux États-Unis est encore plus sidérant et l'on frémit à l'idée qu'une victoire de Donald Tromp pourrait compromettre la mise en œuvre de raccord de Parte.
Devant Ie triomphe du court-termisme et delà démagogie, on en viendrait presque à douter de la démocratie. Les primaires, dès ce point de vue, né ne constituent pas vraiment un progrès. Si l'on définit la démocratie par l'exercice formel de la souveraineté populaire, on peut certes y voir une avancée puisque la capacité des partis à faire écran aux souhaits de l'opinion s'en trouve réduite. Mais il n'en résulte pas, c'est l'évidence, une élévation du niveau du débat. Preuve s'il en était besoin que le principe représentatif ne se suffit pas à lui-même. La démocratie ne pourrait d'ailleurs pas fonctionner sans juridictions dont l'autorité n'émane pas directement du résultat des élections, des tribunaux au Conseil constitutionnel. Dans le droit fil de ce constat, le philosophe Dominique Bourg défend depuis des années l'idée que nos démocraties doivent être réformées pour mieux prendre en compte les Intérêts des générations futures. La tournure prise par nos joutes politiciennes semble lui donner raison : quelle que soit la qualité des individus en compétition, l'exacerbation des rivalités conduit à une focalisation sur les enjeux de court terme. Outre l'occultation des problèmes écologiques, cette dérive explique l'aggravation des déficits publics à la veille des élections, un fait analysé de longue date par la science politique. Pour s'attirer les bonnes grâces des électeurs, mieux vaut flatter leurs égoïsmes catégoriels, même lorsque ceux-ci les rendent myopes et incapables de voir où se trouvent leurs véritables intérêts.
L'idée n'est pas, on s'en doute, de remplacer la démocratie par un autre régime, mais de l'amender en créant de nouvelles institutions susceptibles de contrebalancer le biais court-termiste de la logique représentative. Concrètement, il s'agirait notamment de créer une « académie du futur », assemblée de sages et d'experts qui aurait pour unique mission d'évaluer les décisions importantes du point de vue de leurs conséquences pour les générations futures. Si une telle instance existait, gageons qu'elle veillerait au respect des contraintes écologiques et rendrait des avis critiques sur plusieurs projets en débat tels que celui de l'aéroport Notre-Dame-des-Landes, ou encore celui du vaste complexe de loisirs sur ISO 000 m2 de terres agricoles au nord de Paris (Europa City)."