Comment résoudre l'engorgement des prisons ?
Gaspard Koenig, Les Échos, Le 28 septembre 2016
« Notre système juridique est étrangement conçu. La surpopulation carcérale touche en effet principalement les maisons d'arrêt où sont purgées les courtes peines. On ne peut s'empêcher de trouver bien lestes certaines condamnations. Voici, par exemple, ce que j'ai pu lire cet été dans un journal local : Dylan, dix-huit ans, rentrait en pleine nuit d'une soirée arrosée avec sa petite amie ; passant au milieu d'une aire de jeux pour enfants, il ramasse des brindilles et allume un feu de camp pour épater sa copine ; hélas, le feu se répand et consume quelques équipements : deux mois ferme. Ou bien la semaine dernière : Monsieur Chat, célèbre « street artist », est convoqué par la police pour avoir peint un joyeux chat jaune sur le mur d'un quai de la gare du Nord : trois mois ferme (commentaire du procureur : « Il ira dessiner dans sa chambre »). Est-il vraiment nécessaire au bon fonctionnement de la société que Dylan et Monsieur Chat se retrouvent derrière les barreaux ? N'est-ce pas au contraire prendre le risque de radicaliser contre la puissance publique des individus fondamentalement inoffensifs, sinon même bienfaisants quand on connaît l'état de décrépitude de la gare du Nord ? La justice, en cherchant vengeance au détriment du bien-être collectif, ne tourne-t-elle pas le dos aux principes de Beccaria ?
Il ne s'agit pas pour autant d'ignorer la loi, mais d'explorer davantage les options alternatives à la prison. Dans une note remarquable publiée l'année dernière, l'économiste Emmanuel Combe constatait que les amendes monétaires étaient sous-utilisées par les tribunaux, au prétexte assez idéologique - et tellement français ! - de ne pas « marchandiser » la justice. Dans le cas des délits de vol simple, il estimait ainsi que seules 5 % des peines prenaient la forme d'amendes (contre 70 % pour l'emprisonnement). Le délinquant accumule ainsi de la prison avec sursis, peu dissuasive, jusqu'à soudain se retrouver au trou pour un vol de sac à main. Combe proposait donc d'utiliser pleinement l'outil monétaire prévu par le Code pénal, en infligeant de manière plus systématique des amendes, rapides et proportionnées à la valeur des biens volés (et, en cas d'incapacité à payer, converties en heures de travaux d'intérêt général). Les lecteurs de « Freakonomics », ce best-seller de la vulgarisation économique où Levitt et Dubner décrivent la logique managériale des gangs de Chicago, savent à quel point le petit voyou est un homo economicus éminemment rationnel, réagissant aux incitations et évaluant ses risques. Il rapportera la probabilité d'être pris au coût de l'amende, et se découragera si le jeu n'en vaut pas la chandelle. Combe se livre aux calculs idoines : si l'on considère, par exemple, que le gain retiré du vol d'un iPhone 5S est de 350 euros - soit le prix de revente moyen sur le marché de l'occasion - et la probabilité de se faire arrêter de l'ordre de 15 %, l'amende devrait atteindre 2.300 euros... On aurait ainsi les avantages de la tolérance zéro, où tous les délits sont immédiatement sanctionnés, sans les inconvénients de l'entassement carcéral. Le rôle du juge est de s'assurer, au sens littéral, que le crime ne paie pas.
Plutôt que d'aller en prison, Dylan pourrait être condamné à rembourser les dommages causés, et Monsieur Chat à nettoyer son graffiti. Beccaria plaidait pour une certaine « douceur des peines ». C'est tout le contraire du laxisme. »