"La question de l'opportunité politique du LIBER reste ouverte. Autant un consensus commence à émerger au niveau international chez des économistes et chercheurs en science sociale d'obédience pourtant variée, autant les réalisations pratiques sont rares. Le programme Bolsa Familia de lutte contre la pauvreté au Brésil (dont le succès est d'ailleurs reconnu) se rapproche d'une expérimentation à grande échelle des principes de l'impôt négatif, quoique sous une forme différente. Mais on n'a encore jamais vu, depuis Nixon en 1969, un dirigeant s'emparer pleinement du sujet de l'impôt négatif. Une telle rationalisation entraînerait trop de perdants, en particulier, dans le cas français, parmi les familles aisées, les retraités, et bien sûr l'administration, qui tire son pouvoir de la complexité inextricable du système socio-fiscal. On pourrait se contenter d'espérer ou une situation politique exceptionnelle, ou un gouvernement courageux, ou un effondrement brutal de l'appareil d'État qui, sous le poids de la dette et de la mauvaise gestion, ouvre une page blanche pour le pays...
Sans attendre, notre tâche doit être de convaincre l'opinion publique des mérites du LIBER. C'est ce à quoi ce rapport espère contribuer en étudiant sa faisabilité pratique. Après tout, Milton Friedman ne comparaît-il pas la mise en place de l'impôt négatif à celle du suffrage universel ? Quand la société est prête, le politique suit. Ce serait, assurément, un bouleversement majeur dans notre rapport au collectif ainsi qu'une formidable source de développement, dans la mesure où les politiques économiques (création de richesses) et sociales (lutte contre la pauvreté) seraient pleinement efficaces car autonomes les unes par rapport aux autres.
Imaginons à présent que le LIBER devienne réalité. Quelles seraient les conséquences politiques ?
La transparence et la simplicité du mécanisme permettent d'établir automatiquement si l'on est « débiteur net » ou « contributeur net » à la société. Chacun sachant clairement dans quelle mesure il contribue à la société, le discours politique dépensier deviendrait sans doute moins populaire. L'État cesserait d'être, pour reprendre les mots de Frédéric Bastiat, «la grande fiction à travers laquelle tout le monde s'efforce de vivre aux dépens de tout le monde » pour devenir un mécanisme transparent par lequel chacun prend conscience de combien il donne et combien il reçoit.
Surtout, le caractère automatique du LIBER permettrait non seulement de supprimer une grande partie de l'administration socio-fiscale, mais aussi de priver les politiques des leviers arbitraires avec lesquels ils récompensent leurs électeurs et se vengent de leurs opposants. Finis les cadeaux fiscaux, finies les allocations pré-électorales, finis les impôts punitifs.
De ce point de vue, le LIBER représenterait une rupture majeure dans l'histoire des sociétés. C'est ce que Foucault percevait bien dans le cours déjà cité sur l'impôt négatif : « La seule chose importante, c'est que l'individu soit tombé au-dessous d'un certain niveau et le problème est, à ce moment-là, sans regarder plus loin, et par conséquent sans avoir à faire toutes ces investigations bureaucratiques, policières, inquisitoires, de lui accorder une subvention telle que le mécanisme par lequel on la lui accorde l'incite encore à repasser au niveau du seuil [...]. Mais s'il n'en a pas envie, ça n'a après tout aucune importance et il restera assisté. C'est là le premier point qui est, je crois, très important par rapport à tout ce qui avait été, encore une fois depuis des siècles, élaboré par la politique sociale en Occident. »
Une société où tout le monde pourrait vivre dignement, sans assistanat ni paternalisme, est à portée de main."
Liber, un revenu de liberté pour tous
Marc de Basquiat & Gaspard Koenig
Éditions de l'Onde, 4,90 €, 100 pages.
Je ne voudrais pas être exagérément impératif, mais... lisez-le