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Colères

« Je suis en colère. Et pourtant, voir le verre français à moitié vide n'est pas ma nature. Mais là, franchement, je suis en colère(s).

La colère de quelqu'un qui a commencé à faire sa part.

La colère bienveillante, froide et déterminée d'un homme qui s'est levé, qui agit depuis longtemps, et qui a la fièvre des autres.

La colère de vivre dans un pays hautement détraqué où les minimums ne sont plus des minimums. Dans tous les domaines, à présent ! Un pays au bord du point de rupture - sans que les élites de la capitale, disjointes de la nation, se rendent réellement compte de l'urgence.

Et de l'imminence de la crise politique qui fermente.

La colère de voir une caste administrative-politique très inefficace confisquer le pouvoir sans aucune honte. L'entre-soi coûte trop cher aux 9 millions de nos concitoyens qui vivent sous le seuil de pauvreté et aux entreprenants qui se battent encore.

La colère de voir les solutions pragmatiques de nos élus locaux et des citoyens qui œuvrent sur le terrain - l'armée des « œuvriers », des « Faizeux », des « makers » - être ignorées et traitées de haut. Quel mépris !

La colère de voir la France que j'aime être plongée dans une dépression sans fin et tentée par des malveillants qui giflent nos valeurs, celles que défend notre drapeau. Quelle honte !

Il y a plus de quinze ans, angoissé par l'énormité des fractures françaises, je suis devenu ambidextre à plein-temps : une main d'écrivain, une main de citoyen cofondant avec joie des associations, pour faire ma part.

D'abord, parce que j'avais eu honte de voir que le premier des minimums - que chaque petit Français sache lire et écrire - n'était plus respecté, j'ai lancé « Lire et faire lire ». J'ai dit non à la fatalité en mobilisant les retraités dans les maternelles et les écoles primaires afin de transmettre le plaisir de la lecture. L'idée était de vacciner les petits contre l'échec scolaire. Aujourd'hui, ce sont presque 20 000 bénévoles qui agissent dans nos 100 départements ; ceux que l'on disait inutiles, trop anciens, se sont levés. 650 000 enfants en bénéficient chaque année. Quelle victoire !

Ensuite, tout s'est enchaîné : ''association Mille Mots pour augmenter le vocabulaire des détenus de nos quartiers pour mineurs, l'initiative les Pompiers-juniors, de l'École ouverte, afin de transformer les caïds des quartiers en pompiers de leur collège, de dénicher des partenaires opérationnels, l'un de meilleurs dispositifs antiviolence au collège, etc.

En 2001, avec l'aventure de l'Agence des bonnes pratiques, soutenue par Matignon, j'ai commencé à côtoyer la technostructure parisienne et à voir combien ce n'était pas naturel pour elle de coopérer sérieusement avec les acteurs d'une société civile adulte. Pour ces aristocrates de l'État, j'ai vite compris que n'avoir fait que Sciences po sans le prolongement naturel de l'ENA me renvoyait dans la case des mal nés ! Mais, malgré tout, croyant encore que l'on pouvait transformer notre pays par l'action locale, j'ai lancé, il y a trois ans, le mouvement Bleu Blanc Zèbre. Ma stratégie était simple : créer une alliance des Faizeux, pas des Diseux; rassembler et aider des maires sûrs de leurs méthodes éprouvées, des fonctionnaires innovants, des associations créatives, des entrepreneurs audacieux et des femmes qui assurent déjà le leadership de cette France pragmatique. Tous ceux et celles qui, raisonnant en dehors du cadre et souvent contre leur hiérarchie calcifiée, obtiennent déjà des résultats pour réparer les fractures du pays.

Désormais, cette plate-forme civique se structure pour proposer à nos régions et à nos communes des solutions articulant nos actions qui, auparavant, travaillaient isolément. Une puissance est en train de naître. Détecter les talents crédibles de la société civile et l'excellence de nos élus locaux était un préalable pour recommencer la France. Ils détiennent les outils de son rétablissement. Fin juin, nous lancerons une grande initiative en direction des acteurs territoriaux de Paca, qui sera le premier acte de nos plate-forme civiques régionales. Quelle joie !

Aujourd'hui, après plus de 300 déplacements dans nos territoires pour repérer nos pratiques les plus performantes, après avoir relié 220 opérateurs performants qui, sans se soucier de l'État central, règlent chaque jour nos problèmes réels, je sais quelque chose d'essentiel : il n'est pas de problème français qui n'ait pas déjà trouvé une solution concrète locale. L'armée des Faizeux, publics et privés, est prête à œuvrer. Elle est crédible car ses généraux ont déjà gagné des batailles difficiles, acharnées, fait reculer la fatalité.

Mais je sais aussi, malheureusement, que je me suis trompé : malgré cette fédération à grande échelle, agir sur le terrain est insuffisant. J'avais sous-estime combien un pouvoir central fondamentalement bureaucratique, normatif et organisé en silos pouvait bloquer les initiatives. En vérité, il n'est pas prêt à nous laisser faire, même si nous avons déjà commencé avec foi-Tous ceux qui font leur part sur le terrain le savent, hélas.

Aussi je reprends leur cri : Cela suffit !

II n'est plus possible, juste plus possible, de continuer les quatre siècles de jacobinisme, de centralisa lion, de politique descendante et condescendante. Loin de produire de la liberté, de l'égalité et de la fraternité réelle, la centralisation entretenue par nos partis a conduit à un triple mensonge : une confiscation historique du pouvoir par une classe hors-sol, un renforcement des puissants et des favorisés du système actuel, un éclatement de notre société qui conduit à un durcissement des égoïsmes et à des réflexes identitaires les plus obtus.

Ce triple mensonge, c'est celui de notre classe dirigeante, celle qui fabrique l'abstention et obstrue tout espoir, celle d'une caste qui bloque l'exceptionnel talent de notre pays et l'emmène plus loin que dans le mur, car le mur, nous l'avons déjà dépassé : 9 millions de nos concitoyens vivent sous le seuil de pauvreté, je le redis, 2 150 milliards de dettes et plus de 6 millions de chômeurs. Et le pays des droits de l'homme, oublieux de sa grandeur, ne sait même plus accueillir des réfugiés qui fuient des bombardements !

Ces grands professionnels de l'échec, perclus de certitudes, manient des concepts mathématiques - taux d'inflation, de chômage et de croissance - qui ne sont que des moyennes, sans lien avec ce que chaque citoyen vit sur le territoire qu'il habite. Ils ne sont plus que les experts de la complexité qu'ils ont eux-mêmes créée.

Cela suffit !

Comment peut-on affirmer que la France va mieux simplement parce que le calcul le montre, alors que le quotidien vécu prouve le contraire ? Comment ne pas voir que l'essentiel de nos territoires reste exclu de la croissance ? Comment abandonner nos ambitions européennes vitales au moment où elles sont de plus en plus nécessaires ?

De partout monte le cri : Cela suffit !

Arrêtons d'accepter ce qui ne doit plus l'être par les gens de bien.

Retrouvons ensemble la grande joie d'être français, le robuste bonheur de faire confiance aux praticiens, et non aux techniciens éloignés du terrain. Ne gâchons plus nos vraies capacités, pendant que le monde s'élance vers l'avenir. Ne laissons plus notre puissance économique fondre, pendant que des usines prospèrent de l'autre côté de nos frontières. N'acceptons plus de voir notre culture et notre langue être source d'entraves au lieu d'être les ciments et les ferments d'une grande France sûre d'elle-même. Relayons tous ce cri : Cela suffit !

Comprenons que la solution ne peut plus venir du haut calcifié, mais des territoires vivants. Là où le peuple vit avec intelligence, aime, ose, entreprend, crée. Là où des élus - souvent incroyablement ouverts sur le monde - inventent des solutions qui marchent vraiment. Là où l'on peut résoudre les vrais problèmes à partir du réel et non à partir de rapports : l'emploi, le logement, la santé, le social, l'éducation, etc. Là où l'on peut allier toutes les énergies pour fabriquer à nouveau de l'espoir crédible.

Comprenons que la solution ne peut être que collective et horizontale. Terminé les « moi, président » de l'un ou de l'autre ! Les « j'y vais » ou pas ! C'est « j'y vons ! » que nous devons crier. Rien ne pourra venir d'un homme ou d'une femme miracle ni d'ego dilatés. Tout redeviendra possible à condition de promouvoir un nouveau type de leadership fondé sur l'empathie souriante, le soutien et la responsabilisation de tous. Tout redeviendra possible à condition que chacun fasse sa part non pas seul, mais avec les autres. En équipe !

Voilà l'enjeu de 2017 : construire une France solidaire et ascendante qui parte vraiment de ses territoires, une France qui mobilise tous les Faizeux qui ont gagné leur légitimité par l'action effective, une France où l'État ne dit plus ce qu'il faut faire, mais soutient avec agilité les plus faibles ainsi que ceux qui agissent avec courage.

Ne nous trompons pas : une telle révolution culturelle et politique - renoncer à se tourner vers un papa magique -ne peut pas être menée par ceux qui nous ont conduits là. Ce sont leur mode de pensée, leur habitude ancrée de ne pas faire confiance, leur façon d'être et leurs méthodes rigides, absolument non collaboratives, qui sont en cause ; ainsi que leur propension, disons-le, délirante à la personnalisation du pouvoir.

Avec ces ego-là, sur occupés d'eux-mêmes et de leurs stratégies narcissiques, le moi étouffera toujours le nous.

Cela ne viendra pas non plus des extrêmes, qui déshonorent notre drapeau et dont l'arrivée au pouvoir ne ferait qu'aggraver le mal français : la logique centralisatrice et descendante, qui n'est pas la solution mais bien le problème.

Ceci suppose une insurrection positive et bienveillante, emmenée par des Faizeux respectés. Je dis bien une insurrection républicaine, menée par toutes celles et ceux dont la légitimité repose non sur des promesses, mais sur le fait d'avoir accompli des réalisations très concrètes sur un territoire. Une insurrection civique qui sache associer les quelques rares politiques nationaux qui ont compris que non, ce n'est juste plus possible de continuer comme avant dans une France verticale tenue en vain par l'aristocratie d'État et bien sûr nos meilleurs politiques locaux, les vrais dégourdis de la République, que leurs concitoyens estiment.

Sinon, la société implosera sous la double pression des tensions qui l'habitent et des révolutions en cours au plan mondial. Il est temps, encore temps, mais juste temps : 2017 est l'échéance à ne pas manquer pour prendre le pouvoir central, non pour l'accaparer mais bien pour le donner aux territoires et à ceux qui y agissent, c'est-à-dire à la France réelle, courageuse et de cœur.

La « Primaire des Français », que j'ai soutenue avec ardeur, s'inscrivait dans cette logique, mais la dynamique était insuffisante.

C'est une « Alliance des citoyens en marche » qui est nécessaire, et c'est elle que j'appelle. Une Alliance qui soit l'outil de rupture politique, l'offre alternative et surtout très collective qui doit rassurer le pays et lui permettre d'échapper au cancer affreux du fatalisme. Une Alliance qui n'a pas besoin d'un homme providentiel, mais d'un peuple providentiel qui se prend en main.

Cette Alliance doit être avant tout celle de ceux qui entreprennent déjà pour réparer le pays : les maires et élus locaux, les entrepreneurs de l'économie sociale et solidaire ou de l'économie classique, les responsables d'associations, les simples citoyens acteurs, les fonctionnaires créatifs, les femmes d'exception qui se sont levées. Tous ceux que notre aristocratie d'État tient pour illégitimes. Sans leurs compétences visibles, la France serait déjà morte ; sans leurs pratiques ingénieuses et disruptives, rien ne sera possible demain. Ils et elles sont le socle de la renaissance méthodique, les vrais généraux du retour de la France, car ils et elles seront les moteurs dont elle a besoin. Déverrouiller ne suffira pas. Il faut rallumer les vrais moteurs. Le pouvoir vient d'en haut, la puissance d'en bas.

Cette Alliance est ouverte à tous les responsables politiques qui, conscients des blocages, sont déjà en route, ceux qui ont la vraie modestie de mettre au premier plan les citoyens qui agissent déjà, ceux qui veulent cette France des territoires et ont montré à maintes reprises qu'ils étaient des femmes et des hommes libres.

Je pense à tous les partis et mouvements citoyens qui parient depuis toujours sincèrement sur l'initiative des gens - ceux de la Primairedesfrancais.fr - ou aux intellectuels faizeux, prêts à sortir du cadre, comme Jacques Attali.

Je pense à nos présidents de région qui, en off, avouent être en opposition avec leurs partis centralisateurs. Ceci est connu de tous les initiés, mais est encore un secret pour les Français. Que ces vrais Faizeux rejoignent l'Alliance à leur rythme et prennent eux aussi la tête de cette révolution par les territoires. Nous voulons les renforcer, les libérer, parier sur leur capacité à prendre en main les sujets que Paris ne peut qu'ignorer. La vérité est qu'il y a actuellement à la direction des régions un personnel politique de format très supérieur aux Oiseux qui pullulent sur la scène nationale.

Je pense à nos grands élus locaux que la population applaudit sincèrement, par-delà les clivages traditionnels, parce qu'ils font réellement réussir leur morceau de France. Ces victoires vérifiables donnent droit à tenir des rôles de premier rang.

Je pense au grand Jean-Louis Borloo, qui, après avoir redynamisé Valenciennes, a su mettre son énergie et son savoir-faire au service de la reconstruction des banlieues, de l'écologie appliquée, et maintenant de la cause de l'Afrique, qui change de l'autre côté du lac de la Méditerranée. Si quelqu’un n’a jamais eu le pragmatisme dans le sang au sein d'un gouvernement, et obtenu des résultats en reconstruisant nos banlieues, c'est bien lui ; tout le monde le sait. Qu'il sorte de sa réserve au moment où la France en a urgemment besoin !

Je pense à l'exemplaire Nicolas Hulot, dont la mobilisation en faveur de l'écologie se traduit depuis des années en actions concrètes. Sans lui, la conférence tenue à Paris en 2015 sur les changements climatiques, la conférence COF 21, n'aurait pas pu être un succès. Sa campagne « My positive impact » a mis sa fondation à la tête de dizaines de projets novateurs pour lutter contre le changement climatique, toutes des réalisations de premier rang.

Je pense à ce grand monsieur qu'est Jean-Paul Delevoye. Son passage mémorable à la tête de l'Association des maires de France en a fait un ami des élus disruptifs qui se bougent réellement, et qui osent. Ses années passées à la tête d'un Conseil économique et social qui fonctionnait alors autrement, hors de tout train-train institutionnel, lui ont donné une connaissance approfondie - et la confiance - des Faizeux qui font la différence.

Je pense à l'énergique Daniel Cohn-Bendit, animal libre qui a toujours su mobiliser son enthousiasme au service de causes justes et transnationales. Avec son caractère, l'Europe serait présente physiquement dans l'Alliance. Et puis, son approche très concrète d'élu local en Allemagne fait de lui un acteur incontournable pour notre grand pays européen qui doit redevenir un architecte du continent.

Je pense à Vanik Berberian, le pugnace et trop méconnu président des Maires ruraux de France, qui se bat chaque jour pour défendre la ruralité méprisée, oubliée et, disons-le, incomprise par Paris. Ses révoltes légitimes sont celles de tous les Français qui agissent. Partout, dans l'ignorance du pouvoir central, des villages renaissent grâce à ses troupes d'audacieux : les vrais capitaines de la République.

Je pense à l'initiative disruptive prise par le courageux Jean-Christophe Fromantin, qui en appelle lui aussi à une France des territoires et a au cœur de son projet la sortie de notre pays de quatre siècles de centralisation. Lui aussi rassemble des citoyens en cherchant à identifier leurs capacités d'action réelle - donc des gens respectés car respectables.

Je pense à l'innovant Emmanuel Macron et à son mouvement « En marche ». Ses luttes sans merci à l'intérieur d'un système moribond qui le craint en font un acteur de poids. S'il est sincère, comme je le crois, dans sa conviction que la France qui agit déjà doit avoir un rôle central dans notre redressement, qu'il apporte à l'Alliance son ample connaissance du monde économique et de la machinerie publique. Et qu'il sorte enfin d'un gouvernement miné qui n'a plus pour fonction que d'assurer la reconduction d'un système usé. Il est des fidélités plus grandes que celles que l'on doit à un président ; celles que l'on doit à son pays.

Je pense à Thierry Mandon, serviteur rare de la République qui, au travers de ses expériences multiples alliant des responsabilités locales, nationales et ministérielles, a compris combien il nous fallait revoir de fond en comble la façon même de diriger notre pays. Que lui aussi quitte le gouvernement et fasse bénéficier l'Alliance de son savoir-faire précieux acquis sur la réforme de l'État et la simplification.

Vous remarquerez que tous portent une joie, une fièvre, une grandeur.

Positivons nos colères avant les grands craquements, arrêtons ce gâchis insensé et lançons l'insurrection citoyenne. Ajustons-nous tous cet été pour, à la rentrée, oser ensemble. Ne soyons pas vivants isolément. Chacun séparément ne pourra strictement rien contre les blocages du système. Nous le devons à la France, à nos enfants. Chacun doit sortir du « je » pour participer à la grande équipe de France de ceux qui ont déjà fait.

Telle est la logique de l'appel que je lance aujourd'hui, l'appel pour l'Alliance des citoyens en marche : la puissance et la force inarrêtable d'un « nous » construit sur la diversité et l'intelligence de cœur de ceux qui, sans arrière-pensée étriquée, y participeront.

L'objectif commun est clair : débrancher le logiciel centralisateur, permettre au peuple d'être enfin acteur et parier sur la puissance de la France qui fait déjà sa part. Croire dans les Faizeux, les capables méprisés, les praticiens déjà en marche. Soutenus, ces leaders légitimes créeront les grands programmes efficaces dont les gens ont besoin.

C'est ce qui permettra de faire gagner la grande France.

À la rentrée, disons tous « j'y vons ! », et non « j'y vais ».

Tout commence maintenant pour que le pays rétablisse lui-même tous les minimums qui ne sont plus assurés. Ce qui est bien le minimum du minimum !

Je ferai ma part pour que l'Alliance dise toujours « nous », et jamais « je ». Et vous ? »

Alexandre Jardin, L’Express, 15 juin 2016

Tag(s) : #Politique
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