« On parlerait moins de dignité de la personne humaine
Si l'Union européenne n'existait pas, la notion de dignité de la personne humaine serait bien plus difficile à promouvoir. L'UE a non seulement joué un rôle capital dans la formulation de ce concept clé, mais aussi dans sa traduction juridique : la personne humaine n'est pas un objet comme les autres, ce qui implique pour chacun un certain nombre de droits et de devoirs. L'autre dimension à laquelle l'Union européenne a beaucoup contribué, c'est la fraternité. Longtemps ravagée par les guerres, l'Europe est aussi une terre de rencontre, d'échanges économiques et culturels. Certes, le grand projet de fraternité initié par les pères de l'Europe au lendemain de la guerre n'est pas abouti, et semble depuis vingt ans se limiter aux relations économiques et financières. Mais ne perdons pas de vue non plus que c'est la volonté - légitime - de faire des affaires qui a servi de déclencheur à cette aventure ! »
Guy Aurenche Président du CCFD-Terre solidaire
« Le commerce serait entravé
L'Europe est un marché unifié de 550 millions d’habitants. Pour le secteur des cosmétiques, régi par un texte européen commun depuis 1976, cela représente la possibilité de vendre des produits répondant aux mêmes critères (hygiène, sécurité, normes sociales et environnementales...) dans les 28 États. Si l'UE n'existait pas, le commerce serait entravé par 28 réglementations différentes et serait inférieur à son niveau actuel. Ce marché unique profite aussi au consommateur qui bénéficie d'une protection identique et exigeante, ainsi que d'une offre concurrentielle. J'insiste sur la réglementation parce que, en créant des normes de droit, l'Europe exprime ses valeurs : respect et protection des personnes ; certitude d'avoir besoin des autres pays pour réussir ; la paix... Cela fait treize ans que j'ai une pratique quotidienne de Bruxelles dans ma profession, et sans l'UE, aucun État n'aurait la taille pour peser sur les standards internationaux et promouvoir ainsi nos valeurs. »
Loïc Armand Président de la commission Europe du Medef, et président de la fédération européenne des cosmétiques
« Il y aurait peut-être eu une troisième guerre mondiale
L'Europe sortait de deux gigantesques cataclysmes, la Première et la Seconde Guerre mondiale. Si l'Union européenne ne s'était pas construite, peut-être le continent aurait-il été le théâtre d'une troisième guerre mondiale ? Mais si l'Europe existe aujourd'hui de multiples manières, elle reste une réalisation fragile, susceptible de se détricoter. Un « Brexit » serait-il le début du délitement ? Le temps où l'on croyait que la démocratie et les droits de l'homme s'étendraient à la planète entière - après la chute du mur de Berlin et avant la destruction des tours jumelles de New York - semble aujourd'hui bien loin. En janvier 2000, lors du Forum international de Stockholm sur la Shoah, un immense programme d'éducation à la Shoah avait été lancé pour que plus jamais une telle horreur ne se reproduise. Un travail considérable a été réalisé, et des pays comme la Pologne ont été exemplaires. Or tout cela est remis en cause, notamment dans ce qu'on a appelé les « Peco », les pays d'Europe centrale et orientale. En Croatie, le ministre de la culture est négationniste et l'on réécrit une histoire pro-oustachis. Et en Pologne, l'historien Jan Gross est menacé pour atteinte à l'honneur polonais parce qu'il a rappelé le fait que plus de juifs que d'Allemands ont été tués par les Polonais pendant la guerre.
Annette Wieviorka, Historienne
« Le monde serait rétréci et standardisé
Ce serait la promesse d'un monde vidé de ses aspérités culturelles, un monde rétréci et standardisé, sous l'emprise des géants du Net aux visées purement commerciales ; la promesse d'un monde aux individus formatés et même "algorithmés", privés de leur capacité de curiosité, condamnés au repli sur soi. Souvenons-nous avec Octavio Paz que "Toute culture naît du mélange (...). À l'inverse, c'est de l'isolement que meurent les civilisations." Le dialogue entre les identités culturelles est le socle de notre vivre-ensemble européen. Les sociétés qui se rencontrent n'échangent pas seulement leurs armes ou leurs produits, mais aussi leurs imaginaires, sources d'émotions collectives et de rapprochement entre les peuples. Voilà ce qui fait de l'Europe un espace vital de partage et de différences. Face à la crise existentielle qui la secoue, l'Europe doit être intraitable et ne jamais perdre de vue la nécessité de préserver la puissance de générosité et de fraternité que nous accordons à la diversité culturelle. Prendre soin de notre "langue commune" est indispensable si on veut bâtir enfin l'Europe des valeurs et des peuples, et pas seulement l'Europe des affaires et des gouvernants ! »
Véronique Cayla Présidente d'Arte France
« Il n'y aurait pas de salut possible pour beaucoup de réfugiés
L'Europe existe à travers les valeurs qu'elle est censée porter. Beaucoup de peuples la considèrent comme une adresse pour les grands principes et les valeurs. Il faut voir combien ceux qui cherchent refuge en Europe sont confiants quand ils arrivent en territoire européen. Ils savent que leurs droits fondamentaux y seront respectés. Si l'Europe n'existait pas, il n'y aurait pas de salut possible pour beaucoup d'entre eux. L'Europe a aussi contribué à l'isolement du régime de Bachar Al Assad en adoptant des sanctions contre les principaux responsables de la répression. Mais la crise syrienne illustre dans le même temps la gravité pour l'Europe de ne pas avoir à ce jour de politique étrangère commune. L'Europe n'a pas été actrice dans le conflit syrien, elle a attendu en vain un leadership américain. Les États-Unis ont considéré que leurs intérêts vitaux n'étaient pas en jeu en Syrie. L'Europe n'a pas fait cet exercice d'analyse, qui l'aurait conduite à conclure que la crise syrienne la concerne directement. »
Bassma Kodmani Politologue franco-syrienne, membre de l'équipe de négociation de l'opposition syrienne à Genève
« Elle céderait la place aux forteresses nationales
Au début des années 1990, l'Europe est à son apogée, plus unifiée que jamais depuis que tous les pays se sont démocratisés et que le mur de Berlin est tombé. Pourtant, elle fut inerte, incapable d'éviter le retour de la barbarie sur son territoire. Pendant les cinq années de guerre de l'ex-Yougoslavie, ce fut comme si l'Europe n'existait pas. Puis elle a mal réglé le conflit. Elle a mis une camisole de force sur la Bosnie en donnant la primauté au découpage ethnique, communautariste du pays, en violation de toutes ses valeurs de citoyenneté et de droits de l'homme. Elle tolère d'ailleurs les écoles séparées par ethnies. Et elle continue à mal gérer l'après-conflit. L'Europe avait pourtant une dette envers la Bosnie qui aurait dû être le premier pays à intégrer l'Union européenne. À la place, elle a fait rentrer les deux agresseurs, la Croatie d'abord, la Serbie ensuite. Elle a été incapable d'imaginer un processus d'adhésion commun à tous les États de l'ex-Yougoslavie. Ce procès d'une Europe qui a dysfonctionné prouve qu'il faut plus d'Europe pour régler les problèmes européens. Si l'Europe n'existait pas, elle céderait la place aux forteresses nationales qui brandiraient chacune leur drapeau et leurs postes-frontières. »
Florence Hartmann Journaliste, ex-porte-parole de la procureur du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie
“Les salariés seraient moins protégés
J'ai démarré ma vie professionnelle dans l'acier, un des secteurs d'origine de la construction européenne. La crise actuelle de l'acier illustre un manque d'Europe, d'une Europe solidaire et coordonnée, face à des multinationales qui jouent la division entre les pays et entre les salariés, à l'image de Mittal, mon ancien employeur. Pourtant la situation serait pire sans l'Europe, malgré ses fragilités. Les salariés seraient moins protégés. L'euro, d'abord, a mis fin à la guerre des monnaies sur le continent, protégeant les travailleurs des dévaluations compétitives qui ont provoqué de nombreuses faillites dans l'acier en 1993. L'Europe a aussi créé des outils comme les comités d'entreprise européens, pour obliger les dirigeants à informer leurs salariés. L'heure est venue aujourd'hui de remettre sur pied une Europe industrielle qui réfléchisse collectivement, et de construire l'Europe sociale. Pour cela, le Parlement européen est mon lieu d'engagement, après mon parcours comme salarié puis responsable syndical. »
Édouard Martin Ancien syndicaliste CFDT, eurodéputé socialiste
« On manquerait d'outils
L'Union européenne, c'est la chance de la biodiversité et de la condition animale. Les directives européennes sur la protection des oiseaux et sur la conservation des habitats naturels sont les piliers de la conservation de la biodiversité en France. En découle toute une série de réglementations, notamment la création des sites Natura 2000, sur lesquelles l'action de la Ligue de protection des oiseaux a pu s'appuyer. Sans l'Europe, nous n'aurions jamais disposé de tous ces outils. L'impulsion donnée par les pays du Nord, plus sensibles à la préservation de la nature, a tiré vers le haut l'ensemble des États membres. Ce mouvement se lit aussi dans les progrès réalisés sur la condition animale, que ce soit sur les conditions d'élevage ou le statut de l'animal. »
Allain Bougrain-Dubourg Président de la Ligue de protection des oiseaux
La Croix, 9 mai 2016