Daniel Lebègue, président de Transparency International France : «Il serait extravagant de revenir sur le non-cumul des mandats»
Transparency International France s'inquiète d'un éventuel retour sur le cumul des mandats. Pourquoi cette inquiétude?
Nous avons été alertés par des déclarations publiques de Nicolas Sarkozy et par des échos de presse indiquant que certains, au Sénat, préparaient une proposition de loi qui abolirait la loi de 2013 sur le non-cumul. C'est de la folie. Le premier acte d'un nouveau gouvernement serait de revenir sur le non-cumul? Ce serait extravagant. Cela discréditerait encore plus la classe politique. Nous dirons non, avec tous les moyens d'une ONG, y compris une pétition auprès des Français.
Où en est la France sur la transparence de la vie publique?
Il y a eu des progrès. En 2010, un bench-marking réalisé à la demande de la Commission européenne a permis de situer la France parmi les 28 États membres. Avec des points forts, comme le contrôle des comptes publics, avec l'action de la Cour des comptes et des chambres régionales des comptes, de bonne qualité. Mais un retard sur la transparence, les déclarations des élus locaux, parlementaires, ministres, magistrats, sur leurs intérêts, les revenus de leurs activités, leur patrimoine et son évolution.
Ce retard est-il toujours d'actualité?
Non, suite aux engagements de François Hollande et à l'affaire Cahuzac, avec la loi de 2013, il y a eu des progrès considérables dans les textes et la mise en œuvre, via la Haute autorité pour la transparence de la vie publique. Je rappelle que la «redevabilité», «accountability» en anglais, qui est le fait de rendre compte aux électeurs, a valeur constitutionnelle. L'article 15 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dit bien que « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration».
Dans quels domaines ces avancées sont-elles eu lieu?
Dans tout ce qui tourne autour de la délinquance financière et économique et sur les moyens de la rechercher et de la sanctionner. En 2013, plusieurs lois ont renforcé les moyens d'action de la justice et de la police et durci les sanctions contre la corruption, le trafic d'influence, le favoritisme, le détournement des fonds publics. Cela concerne les marchés, les permis de construire, le droit de l'environnement, les nominations de fonctionnaires... Dans ce domaine également, la France était très en retard, surtout dans l'application de la législation.
Et sur le cumul des mandats?
Cette pratique nous singularise au plan mondial. Aucun pays ne connaît un cumul aussi systématique. Nous considérons, comme les organisations internationales et la majorité des Francais que cette situation est anormale et génère des conflits d'intérêts. L'intérêt régional ou communal ne se confond toujours avec l'intérêt national. Quand un ministre juste nommé se rend dans la région où il était parlementaire et dit «je ne vous oublierai pas», cela ne va pas. La Constitution dit qu'il se déterminera au mieux pour la Nation. Le cumul est aussi source d'absentéisme des parlementaires. Et il appelle des à dérives en termes de rémunération, avec une voiture de fonction pour la région, des frais de mandat pour la commune, des sièges, parfois rémunérés, dans les établissements publics et les SEM. Cela est cependant moins systématique qu'auparavant.
Avez-vous des données concernant le cumul?
Transparency international France a réalisé un travail inédit sur son site Intégrité Watch France, à partir des déclarations d'intérêts des parlementaire Il en ressort que les deux tiers des députés et sénateurs cumulent : 70% un mandat national et un exécutif local : 74 parlementaires ont au moins 5 activités connexes, 4 en ont plus de 20 ! Cela choque l'opinion publique. Ainsi, trois nouveaux présidents de région ont renoncé à leur mandat de parlementaire. Trois autres abandonneront dans un an. Reste le cas du ministre de Jean-Yves Le Drian. Je suis le premier à dire que dans la situation actuelle, la France ne doit pas se priver d'un grand ministre de la Défense. Il a annoncé qu'il serait ministre à 100 %. Ce qui veut dire qu’il n'est président de région que sur le papier. S'il est aidé d'un président délégué, les Français comprendront, mais ce n'est pas durable. Que se passera-t-il s'il y a une urgence en région Bretagne pendant que la France frappe quelque part ?
Propos recueillis par Martine Kish, pour Le Courrier des maires, n° 298, février 2016
Daniel Lebègue est président de Transparency International France depuis 2003. Il a été directeur général de la Caisse des dépôts et consignations de 1998 à 2002. Sa déclaration d'intérêt, sur le site de Transparency International France, fait état d'un poste d'administrateur rémunéré dans une société commerciale et d'administrateur non rémunéré de cinq associations.